Jean et Louise Danet – Saint-Michel-de-Motjoie.
Rigueur et aléas du travail en carrière.
Les conditions de travail dans les carrières sont rigoureuses. Elles le restent même si le matériel s’améliore au fil du temps. « Avant nous, il n’y a avait pas de grue. Il n’y avait que des rouleaux, des rouleaux en bois. Ils roulaient les cailloux sur les rouleaux et puis c’est tout. Ou alors, il y avait le wagon, les wagonnets. Il y avait une plaque tournante et puis les rails de chemin de fer. Tous les déchets, ils allaient dans le wagonnet et ils allaient porter ça dans le remblai plus loin. Et quand on avait un bon bloc, il allait dans la bonne direction », celle des ateliers de la carrière pour y être travaillé ou sur les quais d’embarquement, prêt à partir pour être vendu en l’état. Louise évoque le souvenir de son beau-père : « Et le père Danet, tout seul – il a arrêté vers 60 ans, usé – il fallait l’aider pour descendre ou pour remonter, mais, tout seul, il poussait le wagonnet, alors que les gars ils se mettaient à deux ! Il avait une force ! Mais il n’acceptait pas de s’arrêter avant l’âge, il avait 59 ans et il n’en pouvait plus… ».
Jean souligne qu’avec les wagonnets, il n’était plus besoin d’utiliser les billes de bois. Au sujet de ces rouleaux de bois, il précise : « y’avait des trous dans les bouts et puis, avec une barre, ils tournaient comme ça pour faire avancer le bloc. On appelait ça "les roules". Mais déjà celui qui avait une plaque tournante et des rails, c’était déjà bien. Les wagonnets, ça a été une progression pour remplacer les rouleaux ». La productivité dans le métier s’est accrue par la mécanisation et l’usage des compresseurs et des outils pneumatiques. Pour les deux frères, Jean et André, associés dans la carrière du Creux Chien, le premier compresseur est arrivé vers 1963. « On faisait pareil qu’à la main mais avec la perforatrice ». Le travail n’en restait pas moins dur.
À la difficulté intrinsèque du métier, liée à l’extraction, au charroi ou à la taille de pierre, s’ajoutent régulièrement les conditions météorologiques. Jean se remémore : « J’ai vu un coup, on avait fait des mosaïques au Creux Chien, on avait fait des tranches d’avance et on puis on s’était dit : "Peut-être que l’hiver sera dur, alors on cassera des mosaïques". Et ça n’a pas raté, voilà l’hiver qui arrive : il faisait -19° et nous on cassait des mosaïques ! ». Cela, dans un confort très relatif : « Les baraques, c’était des "èches", avec du genêt... On mettait des bouts de bois à droite et à gauche comme ça et puis au moment de la fougère, on remplissait ça de fougère, de façon à ce qu’on ait bien chaud l’hiver ! ».
« Le pire dans les carrières, c’était de charger les pavés dans les camions et les décharger dans les wagons à la gare... Les tâcherons dans la carrière faisaient du pavé, de la mosaïque ou de la bordure. Et quand il y avait 5-6 000 pavés sur la carrière, le camion venait, on mettait les pavés dans le camion. Et arrivé à Saint-Sever, on rechargeait dans les wagons. Alors c’était plus du 5 000 pavés, c’était du 10 000 à manipuler ! Et après, ça partait dans le Nord, vers Roubaix... ». Et Louise d’ajouter : « Ça c’était dur. Ils revenaient vannés quand ils avaient chargé un wagon à Vire ou à Saint-Sever ».
En plus d’être pénible, le travail d’extraction est souvent aléatoire. « On avait parfois des ennuis dans le Bleu : on avait des "crapauds", des grosses tâches noires. On ne pouvait pas mettre ça pour faire un monument. Il y avait de la perte, beaucoup ». Louise évoque une scène qu’elle a vécue régulièrement avec Jean : « il revenait et il me disait : "Oh, on va sortir un beau bloc tantôt, on n’a plus qu’à le faire tomber". Et le soir, il revenait : "Adieu veaux, vaches, cochons, couvées... Il y a un crapaud dedans !" ».