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26. De carrier à tailleur

René Houstin – Le Gast.

De carrier à tailleur.

René est né en 1935 dans la commune du Gast, d’un père carrier et d’une mère exploitant une petite ferme. Profil classique, somme toute, dans le monde des granitiers qui a valu à René de travailler, dès tout jeune – et souvent dans la même journée – à la carrière et à la ferme. « Faucher à la faux, j’en ai fait ! J’en ai fait des hectares, à la main… Parce qu’avant d’aller au boulot le matin, mon père, il disait : "allez, on va dans le pré là-bas, on a ce coin-là à faucher tous les deux". À la pointe du jour, on était arrivés dans les prés ! ».

Comme la plupart des jeunes, il n’est pas poussé vers les études. « Je n’ai pas passé le certificat d’études. À 13 ans, j’étais déjà sur le chantier. Et dans ce temps-là, on ne partait pas à l’école à 4 ans, c’était à 7 ans. Eh oui... Tous les gars du coin, de mon âge, on était tous dans le même cas. Il y en avait quelques uns qui ont eu le certificat d’études, mais bon... ».


L’appel sous les drapeaux se fait dans un contexte international compliqué. Son temps d’armée dure 27 mois : Algérie, Maroc, Egypte... René en retire l’obtention de ses différents permis de conduire. Au retour, il décide de quitter la carrière paternelle. « 
Quand je suis arrivé de l’armée, je me suis mis à mon compte et puis – j’avais ma voiture – je suis allé travailler sur la côte, c’est-à-dire de Granville à Avranches. Mais j’allais même plus loin, jusqu’à Pontorson. Je travaillais pour les maçons, à tailler de la pierre pour qu’ils puissent monter des maisons et restaurer. Parce qu’avec la guerre, il y avait eu des dégâts. Par là-bas il n’y avait pas de tailleurs de pierre, sur Jullouville, partout là, ils ne connaissaient pas ça ! Alors on avait du boulot par dessus la tête, hein... Il y avait beaucoup de curés qui nous faisaient travailler. Parce qu’il y avait des petits trucs dans l’église qui étaient cassés, il fallait les refaire... J’étais connu partout ! ».

Dans un premier temps, la reconstruction des dégâts occasionnés par la Guerre occupe son temps. Mais René ne s’oriente pas vers des villes comme Vire ou Saint-Lô, largement détruites : « Sur la côte, tout était cassé aussi… et c’était mieux payé ! À cette époque-là, je n’avais pas d’atelier. Je faisais la route tous les jours. Je faisais tout sur place, j’avais mon matériel, une petite remorque... ».

Pour répondre à la demande en matériaux, René se remet à extraire du granit. « J’avais trouvé une carrière à Braffais, à 9 kilomètres avant d’arriver à Avranches. C’est une pierre qu’on n’avait pas ici et les maçons cherchaient ça. J’ai travaillé 10 ans dans cette carrière-là pour les maçons, j’extrayais de la pierre. Et il y avait parfois des gars qui venaient, deux trois gars, des artisans comme moi, qui venaient donner un coup de main ». Mais un nouveau tournant s’annonce : « C’était dans les années 1980, je ne sais plus exactement, les ingénieurs ont décidé qu’on ne voulait plus de granit. Et les maçons ont dit : "le granit, on n’en veut plus...". D’un seul coup d’un seul, on n’avait plus de boulot… ». René a donc fini sa carrière en produisant des cheminées et aussi dans la taille de pierre pour la restauration de monuments, notamment pour le couvent de Granville.

Cette vie dans l’exploitation du granit n’a pas été de tout repos sur le plan physique. René raconte une anecdote à ce sujet : « Un jour que je travaillais à Braffais, il y avait une maison à côté de la carrière : c’était un commandant de l’armée en retraite avec sa famille. Il venait me voir de temps en temps, il aimait bien venir nous voir travailler. Il disait : "ne vous occupez pas de moi". Et puis un jour, il me dit "– ça ne vous dérangerait pas que je reste une journée à vous regarder ?". "– Pas du tout, vous pouvez venir si vous voulez !". Alors, il est venu toute la journée et puis le soir, il me dit : "tu veux peut-être savoir pourquoi je suis venu ? J’ai compté les coups de massette que tu as donnés". J’avais donné 2000 coups de massette ! Je suis usé. Y’a rien de cassé mais c’est usé ! Parce que c’était tous les jours la même répétition. Avec les compresseurs, c’était pas de la rigolade. Le boulot se faisait plus vite mais on forçait plus dur. Quand on faisait tout à la main, c’était les bras, beaucoup, qui travaillaient. Alors que là, les bras ils travaillent bien sûr, parce qu’on tient la mécanique, mais c’est pas la même chose… ».