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03. Une vie de carrier

Jean et Louise Danet.

Saint-Michel-de-Montjoie.

L’orientation professionnelle de Jean, comme celle de nombreux jeunes de sa génération à Saint-Michel-de-Montjoie, était toute tracée : « Au certificat d’étude, j’ai été reçu. Mon père, comme cadeau, il m’a payé une massette et il m’a dit : "demain, au boulot !". Voilà exactement comment ça s’est passé… ». Il rejoint ainsi la carrière des Nouettes, exploitée par son père et dans laquelle travaillent également ses frères. « J’allais au boulot, en vélo, du bourg de Champ-du-Boult aux Nouettes tous les matins. Et en plus, quand on prenait notre vélo l’hiver, en place d’avoir des beaux gants comme tout le monde, nous on avait des peaux de lapins ! Mon père allait en vélo aussi, tôt le matin. On travaillait à la lampe à carbure. Et le soir pareil, jusqu’à 6-7 heures ».


Dans cette carrière, le granit ne se prête pas à la fabrication de monuments funéraires, qui reste l’activité la plus rentable. « Il y avait deux grains dans le Bleu : le gros grain et le petit grain. Mais le grain fin, il ne polit pas, il ressortait beaucoup moins bien après polissage. Toutes les Nouettes, c’était ça hein, c’était bon qu’à faire des pavés et des bordures. La voirie, quoi… ».

C’est cette raison qui a incité Jean et son frère André à exploiter la carrière du Creux Chien, en location à partir de 1962. Louise se rappelle des débuts dans cette nouvelle carrière : « Ils ont pris le Creux Chien dans un état lamentable. Il fallait être courageux pour y aller. Ils ont été plusieurs mois sans gagner un sou. Ceux qui étaient avant avaient pioché un peu partout. C’était mal exploité ». Et Jean d’ajouter : « Il fallait terrasser beaucoup avant de trouver quelque chose de bon. Mais on savait que c’était une bonne carrière et qu’en bossant dur on allait gagner mieux avec le monument. Ah, on a payé des notes de pelleteuses... Parce qu’il a fallu faire des ouvertures là pour exploiter plus facilement. La carrière du Creux Chien était abandonnée, elle n’était plus exploitée. Et la nature a vite fait de prendre le dessus dans une carrière ».

Une fois relancée, la carrière trouve très vite une grande renommée dans le secteur : « Tout le monde venait prendre du granit du Creux Chien parce qu’il était beau. Quand on a fait de la pierre qui était bonne pour les monuments, on a vendu à tous les marbriers du coin ! C’est ce qui nous a sauvé parce qu’on avait une location et tout ça. Aussitôt qu’on avait un caillou, un petit coup de téléphone et ils venaient vite… à n’importe qui ! Et il fallait partager, il fallait que tout le monde en ait. Les blocs à monument, c’était vendu d’avance. Il n’y en avait pas assez pour tout le monde. Et même, le dimanche, ils venaient voir s’il y avait des cailloux de tirés et tu voyais, le lundi, comment ça venait ! On avait une bonne clientèle. C’était la meilleure carrière, alors… ».

Louise précise aussi : « Ils avaient une bonne réputation les Danet ! C’est-à-dire qu’ils étaient commerçants, accueillants. Ça compte hein ! ». Et Jean de compléter en rigolant : « Les gens aimaient bien venir chez nous pour la bonne raison qu’on leur payait un petit café... bien sucré ! Y’avait pas que du sucre hein... Mais on s’arrêtait quand il fallait. Et quand j’avais un cultivateur, alors il fallait toujours rabattre un petit peu de sous. Ben je dis : "non, je ne rabats pas... mais tu m’amènes deux litres de goutte et ça devrait aller !" ».

Quand André, l’aîné des frères, part en retraite en 1990, Jean décide d’abandonner Le Creux Chien et de revenir travailler aux Nouettes, jusqu’à sa propre retraite. Louise précise : « Il n’allait pas rester tout seul dans la carrière du Creux Chien. C’était inexploitable tout seul. Parce que c’était dangereux comme tout et puis il y avait trop de boulot. Alors, après, il est remonté aux Nouettes finir les neuf années qui lui restait. Il a rouvert sa carrière. Mais là, il a peiné. Parce que tout seul, dans une carrière... même si elle était petite ! Après nous, personne n’a repris le Creux Chien, elle a été remplie d’eau. Personne n’avait envie de faire ce boulot-là... Quand on est revenu aux Nouettes, il a fallu vider l’eau. Cette carrière-là, on l’aimait nous. C’était la carrière de la famille. Ils avaient eu assez de mal à la payer, les parents ! ».

Vivre de la carrière n’a jamais été facile. Aussi quand l’âge est arrivé, et même s’il a beaucoup aimé son métier, Jean ne s’est pas fait prier pour arrêter. Louise confie : « À ses 60 ans, il a lancé sa massette dans le bois et il m’a dit : "moi je ne mangerai pas le pain des jeunes !" ».