Émile Germain.
Saint-Michel-de-Montjoie.
Émile, par son parcours de tailleur à négociant, est devenu un spécialiste du granit. « Ici vous avez affaire à un matériau qui est le deuxième granit le plus puissant du monde. Donc le Bleu de Vire était très reconnu pour sa dureté et sa qualité pour être solide. C’est quand même un matériau qui pèse 2850 kg le m3 », le plus dur provenant de la région de Durban en Afrique du Sud. Émile compare le Bleu de Vire avec le granit du Sidobre, dans le Tarn, autre grande région d’extraction en France : « il a le grain beaucoup gros, c’est à grosses écailles alors sa rigidité est moins puissante ».
« Dans le gisement ici à Saint-Michel-de-Montjoie, vous pouvez travailler des générations et des générations, vous aurez toujours de la masse granitique. D’après les géologues qui ont testé le terrain, il y a 1,5 km de profondeur de granit ici en moyenne. On peut creuser, suffit d’avoir l’autorisation ! ». Ce gisement s’inscrit dans le Massif Armoricain. La veine qui nous concerne démarre au sud de la région de Granville : « le domaine en Basse-Normandie, il vient de la pointe de Carolles qui arrive de dessous la mer. À Carolles, vous aviez des carrières, il n’avait pas tout à fait le même grain. Mais le plus gros gisement, c’est sur la région de Saint-Michel-de-Montjoie qui englobe Le Gast, Coulouvray, un peu le bassin de Vire. Après cette veine s’enfonce sous terre et ressort à Alençon. À Alençon, vous aviez des exploitations ».
Émile souligne le caractère inégal de la masse granitique : « on a des failles et aussi des délits et ça date de millions d’années. Un délit, c’est comme une faille : pour trouver une masse rocheuse de 1.000, 2.000 ou 3.000 m3, faut peut être enlever 5-6.000 tonnes de déchet ». Cette situation explique la quantité de rebuts dans les carrières. « Faut savoir que toutes ces exploitations, c’est 85 % de déchets pour 15 % de bon. À l’époque, ils ne s’en servaient pas, ils le débarrassaient et le mettaient en stock. C’est pour ça que vous avez des monticules de granit sur les côtés. Ils se servaient des petits blocs pour faire les pavés mais beaucoup était mis au rebut ». Aujourd’hui, une bonne partie de ces déchets de carrière est réemployée pour faire de l’enrochement le long des dunes du littoral ou pour renforcer les digues des ports.
Dans un même bassin, le granit peut prendre des caractéristiques différentes. « C’est des gisements qui se recroisent. Ils ne vont pas avoir la même couleur, même sur le bassin de Saint-Michel-de-Montjoie. Par exemple, la dernière exploitation qu’il y a ici c’est du granit qu’on l’appelle le "Pas de chat". Et on va sur le versant de la région du Gast, on va trouver du granit gros grains. Celui-là, on l’utilisait beaucoup pour le monument funéraire. Et après, dans cette même veine, là faut redescendre, c’est plus sur le barrage du Gast, vous avez une petite route qui reprend la route de Champ-du-Boult et vous avez sur ce versant-là un granit qu’on va appeler le "Vire blanc" parce qu’il est blanc et à grains très fins. Ce granit a été énormément utilisé pour faire du monument funéraire. On préférait prendre du Vire blanc parce que c’est un joli granit, qui ne bougeait pas. Beaucoup de marbriers, surtout dans la région parisienne, prenaient de ce granit pour mettre dans les cimetières. Je crois que c’est moi qui ai acheté les derniers blocs là-bas, chez M. Jégou qui était exploitant ».