Émile Germain.
Saint-Michel-de-Montjoie.
L’activité du granit s’est développée autour de Saint-Michel-de-Montjoie par la présence des carrières d’extraction du « Bleu » ou du « Blanc de Vire ». À partir de celles-ci, les ateliers de transformation ont fleuri, qu’il s’agisse de produire du matériau de construction, des éléments pour la voirie ou des monuments funéraires. Dans ce dernier secteur – le plus rentable –, les entreprises locales sont progressivement allées chercher, à partir des années 1960, des granits en dehors du bassin local pour satisfaire la demande d’une clientèle en quête d’une diversité de coloris.
Pour les établissements David, c’est Émile qui a la charge de négocier l’achat de ces granits étrangers. « Petit à petit, je suis allé faire les achats de blocs à Saint-Malo et à Anvers. À partir des années 1973-1974 jusqu’aux années 80, il y avait une grosse demande de granit dans le pays : vous aviez des granits qui venaient de Norvège, de Finlande, d’Afrique du Sud, du Brésil, des Indes et ainsi de suite. Vous aviez un dépôt à Saint-Malo, il y avait des milliers de tonnes de granit. L’importateur nous appelait : "j’ai un arrivage qui est arrivé à Saint-Malo, est ce que vous venez faire votre choix ?". Donc, quand on avait besoin d’unités, j’allais à Saint-Malo faire le choix des blocs. On achetait du Bethel white, on achetait beaucoup de Labrador bleu, beaucoup de Noir d’Afrique et beaucoup de Balmoral petit élément qui venait de Finlande. Le Noir d’Afrique venait d’Afrique du Sud. On achetait même du marbre grec ».
Les années 1980 marquent un tournant. « Dans les années 1985-90, ça a décliné à Saint-Malo parce que beaucoup d’entreprises ont fermé. À partir de 1981, quand Mitterrand est arrivé au pouvoir, on a ouvert au monde. Ça a envahi un peu tous les marchés et ça a détruit beaucoup d’emplois dans nos métiers. Si bien qu’il y a eu une dégringolade. Beaucoup d’entreprises ont mis la clé sous la porte parce qu’elles ne faisaient plus face. Le produit asiatique coûtait moitié prix, au prix d’achat arrivé franco ici dans la cour, par rapport au produit qu’on fabriquait nous en France. On n’a pas les mêmes garanties sociales, là bas ils connaissent pas ! Tous nos clients ont été amateurs de ça : ils achetaient 50 % moins cher mais ils revendaient 50 % plus cher donc ils ont fait énormément de bénéfices. Mais faut bien savoir qu’ils ont tué énormément d’entreprises. Donc le marché a dégringolé… ».
Cette chute de la production française a des conséquences sur le port de Saint-Malo. « Les bateaux, c’était des caboteurs qui venaient de Norvège ou de Finlande ou c’était des moyens cargos qui venaient d’Afrique du Sud. Il n’y avait plus assez de tonnage alors les bateaux n’ont plus voulu arrêter à Saint-Malo. Donc ils ont été directement à Anvers. Tout ce qui venait des pays scandinaves a été mis par transport sur route. Nous, on utilisait beaucoup de granit norvégien, on gagnait du temps parce qu’on téléphonait à l’importateur : "il nous faudrait 25 ou 27 tonnes". Et, deux jours après, on était livré, Norvège-Saint-Michel-de-Montjoie ! ». Pendant un temps, la production de monuments funéraires s’équilibre entre ces fabrications à partir du granit local et celui d’importation. « On ne vivait pas la même époque. On était un pays riche et les gens, dans ce domaine là – parce que la France était assez chrétienne –, ils mettaient beaucoup d’argent dans tout ce qui était tombeaux, le respect de la famille, ceci, cela… Il y avait une grosse demande ». Mais la concurrence se faisant trop forte, les ateliers de fabrication locaux ferment les uns après les autres. L’entreprise David, la plus grande du secteur, ferme définitivement ses portes en 2009.