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07. Le métier de carrier ou l’art de manier la poudre

Jean et Louise Danet.

Saint-Michel-de-Montjoie.

Dans la carrière, si tout le monde sait débiter un caillou ou tailler du pavé, il y aussi des tâches plus délicates qui sont réservées à des travailleurs expérimentés. « Mon père il extrayait surtout le granit, il minait. C’était le mineur de l’équipe. Mais il ne minait pas, comme à l’heure actuelle avec un pistolet, c’était à coups de massettes. Un coup l’un, un coup l’autre. On faisait des trous, mettons au plus long 1m80-2m c’est tout. Il ne fallait pas rater son coup ! Avec une barre à mine, l’un tournait et il y en avait un qui tapait à droite et l’autre à gauche et ainsi de suite. Et il y avait de l’eau qu’on incrustait dedans. Pour la profondeur, ça dépendait de la quantité de granit qu’on voulait. Et après on mettait de la poudre. Mais ça dépend de ce qu’il y avait à faire. Si c’était défectueux, un coup de dynamite et puis ça y est, hein ! On éclatait tout pour déblayer, pour aller plus vite quoi ! Quand c’était bon, ben fallait récupérer... Quand c’était défectueux, ça allait au remblais, tout simplement ».


Jean se souvient : « On allait chercher la dynamite à Sourdeval, au café... c’était même un restaurant, sur la place du Champ-de-Foire. En ce temps-là, tout le monde avait de la dynamite ! Mais attention, ça remonte, c’était il y a plus de soixante ans de ça, même plus ! C’était un dépôt. Après, c’était chez Nobel qui nous vendait ça. À Sourdeval, on allait chercher la poudre en vélo. On en ramenait 15 ou 20 kilos, un truc comme ça. On ramenait ça sur le porte-bagage ou bien dans la musette ». Dans l’après-guerre, nombreux sont ceux qui récupèrent aussi la poudre des matériels de guerre laissés après les combats de la Libération. Jean évoque à ce sujet cette expérience qu’il a vécue : « Comme les agriculteurs : ils démontaient les anciennes mines de la guerre pour ravoir la poudre. Étant gamin, je me souviens, y’avait Ernest Hulin, il y avait une bombe qui faisait 4-500 kilos. Pour la démonter ? À coups de marteau ! Il tapait dessus... Et nous on était en admiration devant ! ».

Louise évoque les mesures de sécurité, assez limitées par rapport à ce qu’elles sont aujourd’hui : « Dans les carrières, ils criaient "à la mine !". Quand on était sur la route, on n’allait pas du côté où était la carrière hein ! Il fallait être prudent quand même, parce qu’il n’y avait pas trop de sécurité. Ils criaient seulement "à la mine !". Ils avaient des bonnes voix ». Et Jean de préciser : « Quand on minait, y’avait des coups où c’était pas dangereux, c’était juste pour couper un bout de bloc alors on se reculait de 10-15 m, c’était bon. Mais autrement, quand c’était plus dangereux, on se camouflait derrière une espèce de cabane ou derrière un bloc. À la dynamite ça volait, à la poudre noire, beaucoup moins. Autrement, quand on minait, on prenait les détonateurs à même les dents et puis on serrait. Parce qu’il fallait avoir une pince et on n’avait pas toujours de pince, alors c’était plus vite fait comme ça ! ».

Avec le temps, la réglementation s’est faite plus rigoureuse : « Et après, on a eu des obligations d’avoir des abris pour mettre la mine. Avec des fils barbelés tout autour hein ! On n’avait pas le droit de stocker ça n’importe où. Il fallait mettre des sonneries d’alarme, des trucs comme ça... ».

Cette expérience des explosifs a été très utile durant la Seconde Guerre mondiale. Le père de Jean, engagé dans la Résistance a été l’un des artificiers de son groupe. « Mon père, il fauchait les détonateurs dans les carrières et des trucs comme ça, de la dynamite... Il y avait deux bonnes équipes de résistants à Champ-du-Boult : les Hilliou et les Paris. Il y en avait d’autres sûrement... Mon père, premièrement, il fournissait le matériel et c’est lui qui installait les trucs pour que ça pète. Il faisait du sabotage, il faisait sauter les trains, les ponts, des trucs comme ça. Mais il n’en parlait pas. Ils en parlaient entre eux. Marcel Hilliou, il avait pris une balle dans la tête mais ils ont réussi à le récupérer. Il était redevenu tailleur de pierre après. Ah, c’était une famille de résistants hein ! ».