Émile Germain.
Saint-Michel-de-Montjoie.
Émile est né à Saint-Michel-de-Montjoie en 1953. « Mon père était granitier, artisan granitier. Il avait un petit bois donc il bricolait. Mais il travaillait surtout chez des patrons en étant indépendant. Y’avait pas de contrôles comme aujourd’hui, donc il bricolait le samedi et le dimanche. En semaine il travaillait dans les ateliers ». Ce père, natif de Nouainville dans la périphérie de Cherbourg, est orphelin à l’âge de onze ans et a été recueilli par un oncle. Il est arrivé à Saint-Michel-de-Montjoie à la fin de la guerre. « Oui, ici y’avait pas de problème pour trouver du travail, y’avait plein de boulot, c’était une autre époque. "Tu sais travailler ? On te prend demain, tu viens faire quelque chose !". Et puis voilà… ».
« Maman avait une petite ferme, comme c’était le profil à cette époque. Une petite ferme de 8 ou 10 ha. Elle avait combien ? Six bêtes… Elle ne faisait que du lait, c’est tout ». Le père d’Émile travaille principalement dans la carrière exploitée par les Pedretti, au lieu-dit Les Nouettes à Saint-Michel, juste à côté de celle tenue par la famille Danet.
« Moi, j’ai commencé, en 1966-1967, à l’âge de 13-14 ans. On n’avait pas le choix, à cette époque fallait aller au boulot. Les parents ils ne vous gardaient pas à rien faire ». La formation se fait sur le tas avec son père. « J’allais lui donner un coup de main. Je n’y allais pas tous les jours, moi j’étais encore à l’école. Ils n’étaient que deux, l’autre s’appelait M. Giffault. Ils avaient chacun leur petit cabanon et ils faisaient leurs bordures de trottoir. Eux, c’était leur truc, ils faisaient pratiquement que de la bordure de trottoir. Ils faisaient de la droite, mais aussi de la courbe, d’un certain rayonnage ». Dans la carrière travaillent également M. Pedretti et son gendre M. Charpentier, en charge plus spécifiquement de l’extraction.
« J’ai eu le certificat d’étude mais je n’ai pas été plus loin. Après, moi j’suis parti travailler dans une entreprise de granit. Moi c’est pas ce que je voulais faire, je voulais être mécanicien… ». C’est dans l’entreprise David à Saint-Michel-de-Montjoie qu’Émile est pris en apprentissage et qu’il va faire l’essentiel de sa carrière jusqu’au poste de contremaître, en charge plus particulièrement de la partie sciage. « J’ai commencé comme bleu ! Je suis rentré en 1967-1968. Je suis resté ici jusqu’à l’armée, que je suis allé faire en R.F.A. [République Fédérale d’Allemagne, ndlr]. Je suis revenu et ils m’attendaient : ils avaient acheté une nouvelle machine donc ils m’attendaient, si je voulais rester ou pas. Je suis resté en fin de compte et puis j’ai progressé. Je commençais à m’occuper de salariés, leur distribuer le travail. J’ai eu jusqu’à neuf gars avec moi. C’est moi qui m’occupais de toute la fabrique des monuments funéraires ».
L’activité de l’entreprise David est florissante pendant longtemps. « Il y avait plusieurs postes : il y avait le scieur de granit, avec des machines qui sciaient les gros blocs, après vous aviez le débiteur, celui qui découpait toutes les tranches à la petite scie, après vous aviez le polisseur et, des fois, il y avait le tailleur ». Mais comme le souligne Émile, il faut avoir une certaine polyvalence : « Faut être aussi débiteur, manutentionnaire, savoir conduire les engins, savoir se servir d’un mètre, faire des calculs… ». Émile se prend de passion pour ce métier : « moi j’adorais la fabrique. J’avais vingt plans par jour pour fabriquer des tombeaux mais il n’y avait pas que ça : il y avait aussi tout ce qui était construction de maison... La fabrique c’est assez compliqué, c’est un boulot prenant mais, moi, j’étais passionné par ça ».
Émile se voit également confier l’achat des granits extérieurs au bassin de Saint-Michel-de-Montjoie. Le goût du moment pousse à rechercher des granits de couleurs variées, d’où un approvisionnement de plus en plus diversifié. Émile y acquiert une expérience et se constitue un réseau qui va encore se renforcer quand, au milieu des années 2000, alors que les établissements David rencontrent de grosses difficultés, on lui demande de devenir commercial pour l’entreprise. « Ils m’ont demandé si je pouvais aller voir les clients pour négocier avec eux. Moi je suis issu du métier, je connais mon truc, ils ont eu confiance en moi. J’ai hésité au début, moi j’adorais l’atelier. En fin de compte, je suis parti quand même, j’y suis allé. Je faisais de Nantes, tout l’ouest parisien, jusqu’à Lille ».
Quand l’entreprise David cesse définitivement son activité, Émile se retrouve avec des contrats qu’il a négociés et qui ne peuvent être honorés. Les repreneurs éphémères de l’entreprise sont décidés à fermer et ne veulent pas en entendre parler. « Moi j’ai très mal dormi la nuit. J’ai remis ça le lendemain, j’ai dit : "c’est pas normal, c’est pas honnête". Ils m’ont dit : "vous n’avez qu’à vous débrouiller". Donc j’ai pris ma valise, je connaissais des petits fabricants bretons et, eux, ils m’ont tout pris ! Ils m’ont dit : "tu continues pour nous !" ». Émile poursuit donc son activité de commercial, en indépendant, pour un certain nombre de fabricants implantés en Bretagne, dans le Tarn… « Moi je leur prends 10 % sur chaque commande et puis voilà. Je fais des transactions, je fais des devis… ». Même arrivé en retraite, il poursuit cette activité, à un rythme moins soutenu certes, mais toujours animé par cette passion du granit. Émile est d’ailleurs président de l’association des amis du granit et anime régulièrement des présentations ou démonstrations au Parc-Musée du granit de Saint-Michel-de-Montjoie.