Accéder au contenu principal

12. La boisson dans les chantiers

Émile Germain.

Saint-Michel-de-Montjoie

Les métiers du granit sont difficiles et les travailleurs ont souvent trouvé un réconfort dans la boisson. Celle-ci est largement présente, dans les ateliers comme au fond des carrières. Dans la jeunesse d’Émile, le bourg de Saint-Michel-de-Montjoie comptait pas moins de sept cafés. « Tous les granitiers faisaient une halte ici. Parce qu’il faut savoir que, quand ils touchaient leur solde, ils venaient payer leurs dettes. Et quand ils rentraient à la maison, il n’y avait plus de sous et c’était la femme, avec ses quatre ou cinq vaches, qui faisait vivre la société ». Le café était une étape régulière après le travail. « Ou le matin en passant de bonne heure, c’était ouvert de bonne heure. La moyenne des gens, ils commençaient à 6 heures, 5-6 heures ».


Dans les carrières, la forge est un lieu important : « le forgeron c’est lui qui faisait chauffer le café. Il appelait tout le monde et quand tout le monde était arrivé, il versait ce qu’il fallait dans la casserole et y’avait le feu dans la casserole ! Ça, moi je l'ai connu… C’était de l’alcool dur, très dur, mais fallait les comprendre parce que travailler comme ils travaillaient… C’était quand même un métier dur. Qu’il vente, qu’il pleuve qu’il neige, ils étaient dehors. C’était des cabanes où il n’y avait que des bancs de genêts dessus. Attendez, c’était la cabane du carrier, c’était pas la cabane en tôles – même si mon père avait une cabane en tôles – mais les carriers, à c’t’époque-là, c’était des cabanes avec des gaules de châtaignier, couvertes en genêts, voilà. Il n’y avait pas de luxe, c’était leur mode de vie donc ils s’en suffisaient ».

Dans les ateliers aussi, l’alcool est bien présent. Dans l’entreprise David où il est apprenti, comme dans les autres du secteur, les « bleus » sont réquisitionnés pour alimenter les équipes. « Le patron, il nous donnait de l’argent, on allait chercher le vin avec la musette pour abreuver tout le monde. Chez David, c’est des gens qui ont très bien vécu ». Même pendant le travail, « il y en a qu’avaient leur petite musette à côté… ».

Moment incontournable dans l’année : la veille de l’Ascension. Il est d’usage que le patron offre un repas à ses ouvriers. Émile s’en souvient : « il a existé chez David, mais c’était plutôt une beuverie ! Je crois que ça s’est arrêté petit à petit parce qu’il y avait des histoires... Je dirais qu’à partir de la fin des années 1980, ça a été terminé ». Assurément, ce rapport endémique à la boisson, combiné avec la silicose – maladie respiratoire développée par l’inhalation des poussières de sciage de la roche – n’est pas pour rien dans la faible espérance de vie des travailleurs du granit. Bien peu ont profité longuement de leur retraite.